Carnet d'un naturaliste-sportif

Monday, June 05, 2006

Périple dans les Vosges du Nord

Vendredi 5 mai, accompagné de mon ami Fred, nous entreprenons un périple long de plus de 30 kms (d'après mes observations de la carte): au départ de Trois-Maisons, nous avons pour but de rejoindre le château de Hunebourg en courant.
Situé au SE de la Petite Pierre, dans les Vosges du Nord, ce parcours représente pour moi une première, car je ne me suis aventuré jusqu'alors que vers le Sud de Phalsbourg. En effet, une barrière anthropique - l'autoroute A4 - représentait pour moi un obstacle qu'en fait je n'avais pas envie de franchir ou même d'approcher en raison de sa désagréable vue et de la rumeur sonore qui l'accompagne.

Le temps est superbe: un ciel radieux, point de vent, une chaleur douce quand nous partons, vers 10h, mais qui s'accentuera dans la journée.
Le parcours nous fait descendre et remonter plusieurs vallées, plus ou moins encaissées, et le dénivelé qui résulte est assez sévère.
Nous nous dirigeons tout d'abord vers la vallée du Brunnenthal, puis après avoir remonté le versant opposé, nous longeons le village de Bois-de-Chênes et passons devant la grotte de Danne avant de rejoindre le fond d'une deuxième vallée, celle du Stutzbach, parallèle à la première et qui se jette également dans la Zorn quelques kilomètres en aval.
Suivre cet agréable ruisseau sinueux, sur 3-4 kms, est un vrai plaisir. Un étroit chemin nous fait serpenter entre de vieux hêtres noueux, des roches imposantes, un sol humide, presque marécageux. Tout le long du chemin, la présence des oiseaux de la forêt se fait sentir, comme le chant du coucou ou le travail régulier du pivert sur un arbre.

Nous remontons ensuite un sentier plus large qui nous mène à la Colonne gallo-romaine de Danne, longée par la N4.
Après avoir traversé la route, nous nous enfonçons à nouveau dans la forêt en direction du rocher du Faucon, puis de la passerelle à gibier qui enjambe l'autoroute.
Je dois reconnaître que, malgré la présence de cette dernière, le paysage est grandiose, offrant à l'oeil avide de montagne, la vue d'une forêt qui paraît sans fin.
Nous poursuivons notre route - ou plutôt notre chemin - vers l'Est en direction de la chapelle Saint-Michel. J'aperçois au passage une balise jaune Club Vosgien qui indique la possibilité de suivre un circuit archéologique gallo-romain. Je me promets d'y revenir bientôt.
Pour l'heure, mes jambes se font lourdes (j'ai réalisé un gros entraînement la veille avec un chrono sur 2500m notamment, plus un match de tennis le soir), et les effets du frugal petit-déjeuner que j'ai pris semblent s'être déjà dissipés. Mais cela fait seulement 1h que nous courons, et Fred et moi avons décidé de nous arrêter pour nous restaurer au Mont Saint-Michel. Pas avant.
Je tiens bon, et la délivrance d'une collation glucidique me fournit l'énergie qui commencait à me manquer. Je retire mon T.Shirt, trempé dans le dos du fait du sac que je porte, afin de le faire sécher un peu au soleil.

Pendant ce temps, nous observons la plaine d'Alsace et la ville de Saverne qui s'étalent sous nos pieds, au terme d'une falaise quasi-verticale de 200m. On peut également admirer du haut de cet observatoire la chaîne des Vosges qui s'étire vers le Sud, entourée de son halo bleu-brumeux habituel. Magnifique.
Mais le paysage semi-panoramique n'est pas la seule richesse de ce lieu. Tout d'abord, une curiosité se dresse devant le regard de celui qui le découvre: une cavité rocheuse circulaire, d'environ 1m de profondeur. Elle ressemble un peu à un bassin et trois marches taillées dans la roche mènent en son centre. La légende dit qu'il s'agit là d'un haut-lieu tellurique (il y en a beaucoup dans les Vosges), et que les sorcières venaient y réaliser des rites au cours desquels elles se rechargeaient en ondes magnétiques. Le fait de longer ce trou dans le sens inverse des aiguilles d'une montre (trois fois m'apprend Fred) permettrait de bénéficier de l'apport magnétique qu'offre ce lieu. Nous nous y essayons. Est-ce le rumeur continue qui monte de la plaine ou le fait que notre esprit est concentré sur notre journée d'efforts et d'aventure qui nous empêche de ressentir quoi que ce soit? La légende ajoute que les sorcières partent de là, montées sur des balais, à travers les airs vers le mont Saint-Sébastien (Bastberg) pour y faire leur sabbat nocturne, en suivant Itta, la magicienne, femme du Comte Pierre de Lutzelbourg. Le Comte fonda l'abbaye Saint-Jean en 1126 pour le salut de l'âme de son épouse.
A une dizaine de ce lieu marqué par le paganisme se dresse la chapelle Saint-Michel. Bel exemple parmi d'autres ou différentes croyances se mêlent et se cotoient: reconstruite en 1686 sur des fondations romaines et réparée en 1848, cette chapelle était un lieu de pèlerinage célèbre. En réalité, l'excavation rocheuse des sorcières a probablement été faite pour servir de refuge aux pélerins, jadis fort nombreux.
Au-dessous du rocher sur lequel est posé la chapelle, une petite grotte, habitée autrefois par des ermites. Devant celle-ci, un tombeau taillé dans le roc affecte la forme des sarcophages francs.
Ainsi, le même endroit s'est rendu célèbre à différentes époques et à différentes civilisations, tout comme le Donon, lui-même haut-lieu magnétique. Sommes-nous donc attirés par ces espaces, manifestement appelés à être voués aux cultes?

Après cette pause d'une vingtaine de minutes, nous reprenons le cours de notre périple, à travers le no man's land. Chemin faisant, nous discutons et commentons les endroits traversés, le tout rythmé par une allure variant selon les difficultés rencontrées: les chemins sont étroits - j'adore ça - soit constitués de sable rose dans lequel le pied s'enfonce légèrement et qui amortit la foulée du coureur, entouré de hêtres et pins sylvestres aux âges variables; soit plus cabossés, parsemés de racines et où pointent également des roches saillantes, des aiguilles de pins et des feuilles mortes, petits passages dans une forêt plutôt sombre.
La forêt que l'on voit défiler au prix de notre endurance est donc très changeante mais toujours belle. Parfois claire, parfois resserrée; tantôt feuillue, tantôt résineuse, tantôt les deux à la fois; parfois sur un terrain plat, souvent accidenté; un paysage où alternent des vues dégagées sur les vallées et crêtes environnantes, et des vues où les arbres ne laissent filtrer que la présence d'autres arbres encore et encore, tous plus majestueux les uns que les autres.

2h30 après notre départ, nous rejoignons la vallée de la Zinsel. A cet endroit, nous devons traversés la route et sommes censés suivre un chemin qui, au départ, longe un ruisseau se jetant bien vite dans la Zinsel. Nous comptions d'ailleurs sur ce dernier pour réapprovisionner notre seule et unique bouteille d'un litre en eau, précieux breuvage et indispensable partenaire du coureur lors de telles distances et de telles chaleurs.
Curieusement, nous trouvons le chemin mais pas le ruisseau, qui pourtant figure sur la carte!
De plus, une ancienne tendinite commence à se réveiller au niveau d'un genou de Fred. Nous décidons alors de faire un détour par le village de Dossenheim-sur-Zinsel, grand de 1100 âmes, afin de trouver une fontaine d'eau -potable ou non potable tant pis.
La circulation et le soleil qui tape fort entre midi nous perturbent un peu après ces heures passées dans l'imperturbable forêt, que nous sommes pressés de retrouver. Malheureusement, la seule et unique fontaine que nous trouvons est à sec... Quelques minutes plus tard, je rattrape une sexagénaire qui remonte l'escalier qui mène à son jardin, lui présentant ma bouteille désespérément vide: quelle gentillesse! Elle accepte volontiers de nous la remplir, et me précise en me la rendant qu'elle a bien fait couler l'eau!
Après avoir bu quelques gorgées de cette eau nouvellement acquise, nous repartons vers les sentiers.

La Zinsel est à 186m d'altitude. Deux kilomètres plus loin, nous serons à 401m. La montée est sévère et le genou de Fred de plus en plus douloureux. Nous décidons donc de marcher.
Au terme de cette longue côte, je sors ma carte pour vérifier où nous nous trouvons exactement. Aïe! Je me rends compte à sa lecture qu'au niveau de la Zinsel, il y avait deux sentiers parallèles, distants d'un petit kilomètre, dont un longé par le fameux ruisseau. Nous avons pris l'autre. Et au lieu de nous diriger vers le Nord-Ouest, nous sommes partis plein Nord!
Il est heureusement possible de rectifier le tir, mais au prix d'un détour d'environ 7kms. Ce n'est pas bien grave, nous avons le temps, et le délivrance et la satisfaction de l'arrivée n'en seront plus grandes.
Au passage, nous contournons le château du Herrenstein. Il s'agit d'une ruine dont il ne reste en réalité plus grand chose à l'exception de l'enceinte. Le château, construit pour servir la défense de l'abbaye de Neuwiller, était un fief de de l'évêché de Metz, en possession de l'avoué de Neuwiller, comte de Metz-Dabo. Après l'extinction des comtes de Metz-Dabo, le château fit retour à l'évêché et resta sa propriété jusqu'au commencement du 16ème siècle. Le château fut souvent donné en gage; finalement des chevaliers pillards s'y établirent, et la ville de Strasbourg, après avoir détruit ce repaire de brigands en 1397, devint peu à peu propriétaire de tout le bailliage qui, pendant la guerre de Trente Ans, fut soumis à de rudes épreuves. Elle revendit à son tour la seigneurie en 1651 au général de Rosen. La dernière descendante de cette famille, Sophie, apporta le bailliage en dot, après 1774, au duc de Broglie, qui le conserva jusqu'à la Révolution.

Et après quelques errances hasardeuses et observations assidues de la carte, nous trouvons enfin le chemin qui va nous mener plein Ouest, vers le château de Hunebourg, rendu célèbre pour moi à la lecture de romans d'Erckmann-Chatrian, ces talentueux écrivains phalsbourgeois du 19ème siècle, amoureux comme moi de ces lieux. Emile Erckmann a un jour écrit: "Quand on est né dans les Vosges, au milieu des sapins, entre le Geroldseck, le Hunebourg et le Nideck, on ne devrait songer aux voyages".
Nous traversons un ruisseau au niveau de sa source et nous y remplissons à nouveau notre bouteille. Quel grand plaisir que de s'asperger le visage d'eau fraîche, recueillie d'une modeste source jaillissant de la roche pluri-millénaire, au coeur d'un océan de verdure... Cette source est par ailleurs aménagée de manière originale: deux petits canaux contournent une table et un banc de pierre et se rejoignent ensuite pour ne plus faire qu'un.

Durant les derniers kilomètres, nous observons des souches renversées, traces de la tempête et témoins de la présence de vieux arbres. Noyée dans une multitude de ronces, genêts et fougères apparaît la relève: de jeunes et déjà robustes hêtres.
Enfin, le château, 400m d'altitude. La lignée des comtes de Hunebourg s'éteignit en 1351. Pendant le 15ème siècle, il passa aux mains des Lichtenberg. Puis, pendant la Révolution, il fut vendu comme domaine national et devint en 1808 la propriété du général Clarke, ministre de la guerre, auquel Napoléon conféra le titre de comte de Hunebourg. La reconstruction néo-germanique servait de repaire au clan du traître Charles Roos, fusillé à Nancy en 1940. Il est aujourd'hui le site d'une société de vacances.
Passés devant la maison forestière de Hunebourg, nous arrivons quelques minutes plus tard dans la parc aménagé du château où nous attend Fanny, depuis 45 minutes, pour un pique-nique délicieux et mérité, duquel s'élèvera discussions animées, rires, confidences, et peut-être... un peu de fatigue!