Carnet d'un naturaliste-sportif

Sunday, December 07, 2008

La liste noire

Dans tous les pays sans doute, la police édite une liste de criminels recherchés dans le but de stopper leurs agissements de malfaiteurs. On les recherche, on les traque, on les juge, on les emprisonne s’ils sont effectivement coupables. Et c’est bien normal.


Mais en France, il y a une deuxième liste. Une liste noire. Ceux qui figurent dessus – et ils sont nombreux – sont traqués sans relâche chaque jour de l’année, même le dimanche, puis tués. On les appelle les nuisibles.

Renard, fouine, corneille noire, pie bavarde, martre, belette, chien viverrin, lapin de garenne, putois, ragondin, rat musqué, raton laveur, sanglier, vison d’Amérique, corbeau freux, étourneau sansonnet, geai des chênes, pigeon ramier. Tels sont les noms de ces douze mammifères et six oiseaux qualifiés de la triste étiquette de « nuisible ».


Mais de quoi sont-elles accusées, ces espèces animales, pour être ainsi persécutées puis tuées ?

Moi, je ne suis ni chasseur, ni scientifique. Mais je suis quelqu’un qui parcourt la forêt, la Nature, qui la respecte et qui l’admire. Je suis certes un brin poète dans l’âme, mais il y aussi d’autres choses que je vois, que je constate, que je lis et dont je suis sûr.

Voilà mon avis : la chasse aux animaux dits « nuisibles » n’est pas justifiée et le fait que des espèces reconnues a posteriori « non-nuisibles » par un jugement soient tout de même illégalement détruites me choque profondément. Cette chasse me dégoûte et revêt un caractère immoral car elle ne s’appuie sur aucune vérité scientifique, et qu’elle n’est pratiquée que pour satisfaire l’appétit des chasseurs à appuyer sur une gâchette pour tuer. Je pense également au piégeage, déterrage, gazage, empoisonnement… à toutes ces pratiques ignobles.

La biodiversité est en danger. Même en France où la forêt progresse. Car nos villes gagnent aussi du terrain, ainsi que les routes, les grandes parcelles de monocultures remembrées, l’emploi de pesticides et insecticides. Dans le même temps, les haies disparaissent, tout comme les jachères, la diversité des fleurs et autres plantes s’appauvrit, les abeilles meurent… Et on nous dit qu’il y a trop de renards !?


Les petits prédateurs sont pourtant essentiels à l’équilibre de la Nature. Seulement voilà : ils tuent parfois du petit gibier élevé puis lâché par (et pour) les chasseurs, inadapté à la vie sauvage. Naturellement, les chasseurs ne sont pas contents.

Pourtant… Pourtant, ces animaux prélèvent essentiellement des animaux malades, faibles, âgés ou inexpérimentés. Ils effectuent ainsi une véritable sélection naturelle, précieux participants à l’équilibre du milieu, ils occupent également un rôle sanitaire en évitant épidémies et en régulant les densités de population.

J’admire particulièrement le renard, alors je vais continuer à parler un peu de lui pour étayer mon argumentaire. Ce bel animal au pelage roux se nourrit de 6 à 10000 rongeurs par an ! Il est donc un allié de l’économie humaine en favorisant les paysans qui pratiquent l’élevage en plein air et dont l’herbe des pâtures pousse mieux grâce à lui.

Les poules ? Il n’en capture guère que dans les endroits non grillagés. D’une manière générale, il suffit de toute façon d’utiliser des clôtures électrifiées ou l’effarouchement sonore pour protéger cultures et élevages sans tuer.

Mais je pourrais également insister sur le rôle des oiseaux qui consomment très souvent en période de nourrissage l’équivalent de leur propre poids en insectes.


L’homme n’a pas besoin d’intervenir pour participer à un quelconque équilibre écologique. Les scientifiques affirment la capacité de la Nature à s’autoréguler, et ces animaux figurant sur la fameuse liste noire sont des régulateurs quand ils ne sont pas tués par balle ou écrasés sur une route.

Surnombre ? Cela arrive, en effet, malgré ce que j’affirme dans les lignes qui précèdent. En conséquence, une seule explication possible : l’homme, encore une fois.

Je l’ai dit, je parcours beaucoup la forêt. Et lors de mes sorties pédestres, je peux parfois m’émerveiller devant une majestueuse hêtraie-sapinière, à laquelle s’ajoutent de-ci de-là quelques pins sylvestres sur les roches de grès rose, à flanc de montagne, des chênes, châtaigniers, bouleaux, etc. Malheureusement, je traverse également des futaies tristement régulières et alignées, des routes toujours plus nombreuses, des chemins élargis et recouverts de caillasses, je suis même parfois bloqué par des grillages clôturant des parcelles, en pleine forêt…

Cette artificialisation croissante des milieux a induit une modification comportementale de la grande faune.

Et ce n’est pas tout. Toute l’année, des 4X4 approvisionnent des mangeoires par des chemins créés pour l’occasion.

Cette stratégie de nourrissage artificiel, censé diminuer les dégâts des animaux sur les arbres et les cultures, aboutit en fait à une surpopulation d’espèces en voie de domestication, faciles à tuer, plutôt pour la soi-disant beauté du trophée qu’elles représentent que par respect de l’évolution naturelle.


Je le redis pour finir : je suis choqué par ces pratiques et j’attends à ce qu’elles changent. Favorisons une sylviculture naturelle, en harmonie avec les milieux. Rapprochons-nous du cycle naturel en laissant vivre les prédateurs.

Pour le bien de la flore, de la faune, de l’humanité. Pour le bien de tous.



Voici un texte que j'ai écrit, puis envoyé à l'Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS), afin de lui apporter mon soutien. Cette association oeuvre en effet pour faire annuler les décisions préfectorales de chasse aux animaux dits "nuisibles". En écrivant pour mettre en avant notre indignation devant de telles décisions, l'ASPAS obtient chaque année plusieurs succès en justice!

Dans la foulée, comme il me restait quelques timbres, j'ai également fait parvenir mon texte au Préfet de la Moselle, au Ministre de l'Ecologie et au Premier Ministre.

"Le pessimiste se condamne à être spectateur" nous a enseigné Goethe. Difficile parfois de ne pas sombrer dans l'amertume et le cynisme lorsque j'observe le monde, mais l'utopie et l'espoir font avancer les esprits et incitent à l'optimisme et donc à l'action, si futile soit-elle. Il faut se bouger, s'activer, se rebeller, rêver, agir. S'il fallait renoncer à ses idéaux, à quoi cela servirait-il de vivre? Tant que je serai vivant et debout, je mettrai toute mon énergie à exister!

Tuesday, December 02, 2008

Le plus beau métier du monde (2)

Je suis prof. Professeur d'école pour être exact. C'est pour moi le plus beau métier du monde, celui que je rêvais d'exercer depuis le collège. J'enseigne dans une SEGPA: il s'agit d'une sorte de filière parallèle au collège et intégrée au sein de ce dernier et dont l'objectif est d'accueillir des élèves en difficultés afin de les préparer petit à petit à réussir leur entrée dans le monde des grands.
Beau défi que d'essayer, chaque jour, de les intéresser, les faire travailler et adhérer aux cours, tout en gérant la diversité des caractères parfois très durs, parfois très fragiles.

Oui, je le répète, c'est un beau défi. Depuis ces quelques années que j'enseigne et au cours desquelles je me suis fait appeler tantôt "maître", tantôt "monsieur", j'ai déjà vécu de bien belles expériences, j'ai rencontré des élèves si attachants, drôles, intelligents, terribles, rêveurs, travailleurs, pas travailleurs du tout... Une foule de rencontres qui m'ont forcément marqué.

- Dites, monsieur?
- Oui? Qu'y a-t-il, cher élève?
- Pourquoi vous êtes prof? Ca doit être fatigant et éprouvant d'être toute la journée debout à essayer de nous faire comprendre des trucs, qui bien souvent ne nous intéressent même pas.
- Ouais, t'as raison, c'est pas toujours simple de vous supporter. Mais bon, ma première mission, c'est d'abord d'essayer de vous démontrer que ce que je tente de vous apprendre vous est et vous sera utile. Pourquoi je suis prof? Eh ben, parce que... Y a plein de raisons en fait!
Je pourrais tenter de t'expliquer qu'il est tellement agréable d'être "le prof", d'être regardé et écouté par ses élèves. Si, si, j'te jure, ça arrive!

Mais il y a aussi le sentiment de servir à quelque chose. L'éducation est un des piliers de la vie en société comme de la vie de chacun. C'est par l'école que l'on peut espérer aider un enfant à réussir sa vie future en lui apportant les connaissances, les règles de la vie sociale, le respect de tout ce qui nous entoure, le goût et la curiosité d'apprendre, de lire, d'écrire, de s'exprimer. C'est le socle fondamental pour, peut-être, être libre dans sa vie future ou se battre pour l'être, devenir quelqu'un de responsable et de conscient.
Ouais, bon, je m'emballe peut-être un peu, là. Mais c'est vrai! Et même si c'est pas évident, c'est à mon sens servir une noble cause que d'être un professeur.

J'ai admiré quelques-uns de mes professeurs par le passé. Et j'ai toujours rêvé de devenir quelqu'un, comme eux, de cultivé, d'à la fois drôle et passionnant à écouter.

- C'est vrai que quand vous êtes drôle, on vous écoute!
- Et voilà! Tout est là, je crois. Il faut vous dire que je réfléchis beaucoup à l'attitude à adopter en classe. Mon maître-mot, c'est: ENTHOUSIASTE! Tous les professeurs qui m'ont marqué étaient à la fois enthousiastes et bienveillants, tout en étant quand il le fallait très directifs si on s'égarait un peu.
Alors moi, j'essaie de faire pareil. Pour vous intéresser, et c'est pas forcément fastoche, je dois mettre le paquet niveau enthousiasme. J'essaie aussi de vous encourager, vous stimuler, vous valoriser car c'est un bon moyen pour donner envie de s'appliquer, de continuer à fournir un effort. Et ma récompense, c'est lorsque je constate qu'il y a une bonne ambiance de travail, détendue, que vous êtes bien là, attentifs et motivés.
Et quand vous partez trop de travers, quelques syllabes dans les tons les plus graves, un regard noir, une voix froide et menaçante, telle est ma technique! Trente secondes plus tard, je peux à nouveau sourire! Etre prof, c'est parfois un peu comme jouer un rôle dans une pièce de théâtre.



- Mais il y en a quand même avec qui ça ne marche pas...
- Eh ouais, malheureusement. Peut-être que ces élèves là apprendront mieux avec leur prochain professeur qui aura une méthode toute différente de la mienne et qui leur conviendra davantage?
Je quitte parfois ma classe franchement pas content, mais alors pas content du tout! "Y m'ont énervés aujourd'hui!" Fulminant parfois jusqu'au lendemain matin, c'est dans ces moments-là que je remarque que c'est un métier usant. Il faut avoir les nerfs solides quand deux dorment à moitié, deux autres font semblant de rien comprendre, deux autres ne comprennent effectivement rien, deux autres se passent des petits mots ou discutent carrément tranquillement, un autre vous dit qu'il n'a pas envie de bosser et prend un bouquin (c'est bien, j'encourage la lecture!), et un dernier pète les plombs et insulte ses camarades, ou bien prend ses affaires et s'en va: si je n'ai pas voulu le dégager, il se vire lui-même!

Bon, O.K., toutes ces anecdotes croustillantes ne se passent jamais en même temps, mais quand même!
Mais il y a les autres.
Mes chers élèves qui me témoignent chaque jour leur intérêt, voire même leur attachement à moi.
- Monsieur, j'ai beau vous comparer avec les autres profs, vous êtes incomparable! Y a qu'avec vous que j'ai envie d'apprendre.
- O.K., c'est sympa, mais essaie malgré tout de travailler chez les autres profs aussi...

Trois filles arrivent vers moi en courant, un matin à 8h.
- Monsieur, on a décidé qu'on ne participe au cross que si vous restez pour nous voir passer!
- Bon, allez vous changer les filles, je serai là!

Des anciens élèves me demandent de bien vouloir les reprendre en classe. Quand je passe devant eux dans la cour, ils m'interpellent:
- Non, Monsieur! C'est ici que vous devez venir!
- Avec le nouveau prof, on a même pas le droit de rigoler.
- Ah bon? Parce que chez moi, vous aviez le droit?

Oui, j'aime ce métier. Je le considère plus comme une mission que comme un boulot d'ailleurs. C'est parce que je le fais par conviction, avec passion, comme un chanteur chante parce qu'il aime ça. Alors moi, je suis donc un professeur qui professe parce qu'il aime ça!
L'enfance est la plus belle des périodes de la vie. Si elle est heureuse et légère, on reste toujours un brin nostalgique des moments magiques que l'on a pu traverser, où l'insouciance était notre guide, les copains et le jeu nos compagnons de tous les instants. Et beaucoup de ces souvenirs-là se passent à l'école.
C'est aussi peut-être pour ça que je veux rester à l'école toute ma vie?


Julien, avril 2061.
Toute ma vie...?