Carnet d'un naturaliste-sportif

Tuesday, October 21, 2008

Cours toujours...

Il pleut. Fort. Et il fait froid. Cela fait maintenant près de trois semaines que j'ai ressenti cette violente douleur dans le dos lors d'un match de tennis disputé de bon matin, et avant lequel je ne m'étais pas assez échauffé.
Depuis, je n'ai plus joué au tennis, mais je continue à courir. De toutes façons, comment m'arrêter? Toutefois, je me suis retrouvé complètement bloqué à trois reprises. Je relativise et philosophe en me convainquant que c'est le lot de tout sportif d'être blessé de temps en temps.

J'apprends que le parcours du 10kms de Saverne est modifié par rapport aux années précédentes. Il y a désormais deux boucles de 5kms chacune à réaliser.
Je prends un départ assez rapide, me place en 15-16ème position, mais je n'ai pas trop de sensations, j'éprouve quelques difficultés à me jauger, à évaluer mon rythme. Je prends tout de même confiance petit à petit, et libère ma foulée, plutôt à l'aise dans les virages serrés qui jalonnent la course.
4ème kilomètre, je suis 9ème. Les soeurs Kuster me rattrappent tout doucement, c'est logique. Environ deux kilomètres dans la boue à courir, essentiellement en montée en plus, je n'aime pas trop patauger. Elles me dépassent. Je passe le 5ème en 17'48'': ce n'est pas trop mal finalement! Malheureusement, je vais bien vite déchanter car ma douleur au dos commence à se réveiller. Cela me fait l'effet d'une barre qui m'empêche de me mouvoir à ma guise, qui limite ma souplesse et mon agilité de par son intensité qui se répand. Enfin, elle gêne ma respiration et favorise l'apparition d'un point de côté. Je finis cette course 20ème en 38'05".


2 octobre: plus que trois jours avant le semi-marathon. Mais après avoir traversé une bonne semaine sans trop avoir la forme, je me retrouve invité par le soleil à aller courir. J'y vais. Je fais 28kms.



Je m'offre une belle montée de la Zorn jusqu'à la maison forestière du Schweizerhoff. L'automne s'installe et propose un mélange chaleureux de couleurs: la mode est au brun-rouge-jaune cette année.
Je m'énerve un peu cependant en ramassant une collection de morceaux de verre, brisé et abandonné là par un individu que j'imagine sans peine antipathique et stupide.
Je redescends ensuite vers Stambach en passant par le petit Blumenthal. Loucky me distance alors que je stoppe net devant un grand hêtre sur une branche duquel se tient un superbe milan royal, immobile, mais qui me fixe de haut avec un air me semble-t-il un rien hautain. Ses pattes et son ventre sont pratiquement tout blanc, et son dos et ses ailes gris-brun. Je pars rejoindre Loucky après avoir salué le noble volatile et lui avoir souhaité une belle et longue vie.



Depuis Stambach, je dirige mes pas en direction des Grand et Petit Geroldseck, châteaux moyen-âgeux que je n'ai pas honoré de ma visite depuis plusieurs années, bien que je les observe régulièrement au promontoire de quelque rocher environnant.

Edifié en 1291 à 481m d'altitude pour défendre l'abbaye de Marmoutier, le plus grand des deux (et son petit frère et voisin aussi d'ailleurs) reste à mes yeux encore bien imposant et bien conservé pour un bâtiment considéré en ruines depuis 1486.
Entre les deux se dressent bon nombre de châtaigners. 1h30 après mon départ, j'ai un peu faim, mais j'ai surtout soif. Je ramasse une châtaigne légèrement ouverte et en goûte sa graine. Eh bien, ce n'est pas terrible, ça s'émiette, et j'ai encore plus soif.
Je passe ensuite par l'Hexentisch, la fameuse table des sorcières. Qu'y faisaient-elles à cette table ces femmes de légende aux pouvoirs soit-disant maléfiques? Peut-être réfléchissaient-elles à un moyen de libérer leur féminine condition de l'oppression et de l'ignorance masculines, le moyen de ne plus être réduites aux rôles de l'éducation et de l'entretien mais d'être enfin reconnues pour leurs savoirs, leur subtilité, leur finesse d'esprit, leur beauté. Livré à ces réflexions, je cours toujours, sans m'arrêter au rocher du Grand Krappenfels, puis en dévalant la vallée à toute vitesse, je croise deux cavaliers aux montures superbes, accompagnés de leur compagnon-jappeur. Loucky ne s'y intéresse pas, il n'a pas le temps, il a plein de choses à faire: courir, me distancer, se laisser rejoindre, renifler, se coucher et s'abreuver dans une flaque d'eau boueuse, me distancer à nouveau, etc. Je crois bien qu'il est heureux. Et moi aussi.


Arrivé dans le fond de vallée, j'ai presque envie de remonter l'autre versant pour me rendre à l'endroit qui, je crois, a ma préférence parmi tous les autres: le village gallo-romain du Wasserwald. Mais je me raisonne et refoule cette envie, et lorsque j'arrive enfin à l'écluse 24, cela fait déjà 2h24 (justement) que je cours. Je finis alors mon parcours par 40 minutes de marche, en croisant les doigts pour avoir retrouvé ma fraîcheur physique d'ici au dimanche, jour de mon semi-marathon que je courrai au départ de Narbonne-Plage.

Avez-vous déjà entendu parler du marathon de la vallée de la Zorn? Non? Normal, car c'est moi qui l'ai inventé, et l'on a été que deux à l'avoir couru!
Après un semi-marathon bien difficile dans le Sud (long en réalité d'environ 22,5kms) et terminé en 1h23'18", marqué essentiellement par un état d'épuisement pas évident à surmonter dans l'après-midi qui suivit, Rémi -mon frère- et moi nous motivons pour la distance reine. Inscription gratuite, ravitaillement à la demande avec l'ami Alex à vélo, un temps ensoleillé, point de vent et une température idéale.
A 10h, ce jour-là, c'est Rémi qui s'élance, Alex et moi à vélo. Magistral de bout en bout, il explose son précédent record d'1'30" en signant un chrono de légende en 3h27"04!



A 16h, c'est mon tour: les pâtes au pesto pas tout à fait digérées dans le ventre, je démarre vite pour ce marathon au cours duquel je n'avalerai que cinq dattes et un demi biscuit aux céréales. Départ de Sarrebourg, ma chère ville natale dans laquelle j'enseigne désormais. Direction Buhl, puis Hesse par une jolie petite route à travers prés, que Rémi et moi avions baptisé par le passé "la route des trois stades", auxquels nous nous rendions à vélo pour y disputer des parties de foot endiablées.
Rémi m'annonce que je cours à plus de 16km/h. En effet, je passe le dixième kilomètre en 37'15"! Est-ce trop rapide? Non, car je sens que je suis en mode automatique, je cours à cette allure sans forcer aucunement, ce qui est essentiel à ce moment de la course.
Passés Hesse, nous suivons le canal sur un kilomètre avant de rejoindre la nouvelle piste cyclable, très bucolique, qui nous acheminera à l'étang Lévêque. Puis, il faut longer la Sarre et traverser Sarrebourg pour reprendre ensuite une seconde fois la route de Buhl. Manque de chance, je suis stoppé pendant 20 secondes au feu rouge de la mairie. Cet arrêt me gêne, et au moment d'entamer la seule et unique véritable côte de l'épreuve, je peine à retrouver mes sensations.

Alors que je me dirige vers Niderviller pour traverser la forêt qui mène à Arzviller, j'ai l'impression d'avoir sommeil, je me sens un peu engourdi. Je bois et asperge mon visage d'eau afin de me réveiller. Malgré cela, je maintiens curieusement à peu près mon allure et je passe le semi-marathon en 1h20'30", ce qui est excellent!
Toutefois, je ne suis pas à la fête. Heureusement, je suis bien entouré, encouragé et épaulé par mes compagnons. L'étroite route bordée d'arbres multicolores est partiellement recouverte d'un tapis de feuilles jaunes et offre de belles sinuosités. J'y évite de peu une jolie chenille toute poilue.
Ce n'est qu'en entamant la descente d'Arzviller que tout à coup, l'énergie et l'enthousiasme reviennent comme par magie.
La vallée des vieilles écluses: quel enchantement de longer cette ancienne portion du canal, dans laquelle se laissent bercer par les eaux des canards paisibles ou des poules d'eau dissimulées dans la densité des roseaux qui s'élèvent fiers et verticaux vers le bleu du ciel. Les imposants rochers qui se trouvent juste derrière sont troués de nombreuses cavités, et les traces blanches d'une multitude de déjections qui s'étirent en-dessous de chacune d'elle laissent deviner les nids de rapaces qui ont bien judicieusement choisis leur lieu de vie.

Km 30. 1h57'. Une minute de plus qu'à Paris en 2003 lorsque lors de mon premier essai sur cette distance, j'avais réalisé 2h55'06", seule et unique participation sous les 3h. J'ai ralenti, mais je suis bien. Malgré les débuts de crampes qui attaquent mes jambes de toutes parts, et qui font ma foulée plus raide à chaque kilomètre. Rémi me dit: "Allez Juju!"; Alex me dit: "Allez Juju!". Je serre un poing conquérant et je dis: "Allez!" Je leur annonce que j'irai au bout.





Entretemps, j'ai rejoint le grand canal, passé un petit pont de bois, puis l'écluse juste avant Lutzelbourg que j'aime bien parce qu'il y a toujours des chats. Et là, il y en a deux, tranquilles. Ils nous regardent à peine passer. Je vois le château, tout en haut. Je le dépasse. Le jour commence à décliner lentement. Rémi me dit que je suis encore à 12km/h, et il me confiera plus tard que j'étais en-dessous.
Km 38, voilà l'écluse 24, et juste après, tout comme le matin, notre seul et unique supporter nous attend: le héron. Mais il refuse obstinément de se laisser prendre en photo et s'envole à chaque essai un peu plus loin afin de regarder passer le coureur, jusqu'à ce qu'il se lasse et s'en éloigne pour de bon cette fois, en direction de quelque endroit poissonneux connu de lui-seul.

Km 41: j'ai trop ralenti. Si je finis ma course à ce rythme, il n'y aura pas de record pour moi aujourd'hui. Ce ne serait pas si grave après tout, mais ce serait dommage de ne rien tenter! Alors, j'accélère et je retrouve ma cadence des premiers kilomètres, mais avec une foulée de robot qui ne connaîtrait pas le stretching. Je sprinte pour le finish et je franchis la ligne invisible de l'arrivée (mais je sais qu'elle est précisément là) en 2h54'27" (après avoir retranché les 20 secondes perdues au feu rouge sarrebourgeois). Heureux, je me laisse tomber sur le dos dans l'herbe mouillée de Stambach. Alex et Rémi doivent m'aider à me relever. Décidément, ils auront été là jusqu'au bout.

Wednesday, October 15, 2008

Injustice

Dans le pays du soleil qui chauffe
Un village se réveille au matin
Une petite fille ouvre ses grands yeux bruns

Très loin, un grand type un peu beauf'
Gare sa B.M. devant un magasin
En costard, pressé, il sent le parfum

Elle va chercher son bol en bois
Vieux, ébréché mais unique
Pour sa ration d'eau il est pratique

Il admire sa voiture l'air béat
Content d'avoir pris l'assurance tous risques
En bleu métallisé, en plus, ça fait chic

Elle est maigre et elle est pauvre
Mais elle est belle quand même
Entourée de ceux qu'elle aime

Il aurait peut-être dû la prendre en mauve
C'est quand même un gros problème
A force d'y réfléchir sa cervelle est pleine

Autour d'elle les arbres meurent
Le grand désert gagne du terrain
Elle a soif et elle a faim

Il s'achète un énorme jambon-beurre
A l'hypermarché du coin
Et du thon rouge qui vient de loin

Dans un morceau de bout de miroir
Sous sa peau elle voit son squelette
Et le reflet de ses yeux de fillette

Sympa sa nouvelle chemise noire
Avec son blouson en cuir ça fait chouette
Dommage qu'il ait du vide dans sa tête

Elle ne va pas à l'école
Mais elle rit, elle joue de temps en temps
Elle a un air fragile, innocent

Lui, il s'enrichit à une allure folle
Il vient d'investir dans les biocarburants
Pour lesquels on tue les forêts, c'est dément

Elle porte au loin son regard d'enfant
Mais pour combien de temps?
Et interroge le monde

Il contemple son argent
Son coeur se vide sûrement
Il n'entendra pas l'injustice qui gronde