Carnet d'un naturaliste-sportif

Wednesday, October 09, 2013

Le chien qui courait


« j’adore la sensation de courir sans effort qui survient quelquefois lorsque je suis sur un monotrace couverts d’épines de pin ou même quand je coupe trois lacets. J’adore la sensation que je peux éprouver à courir dans un cirque ou passer un col, ce sentiment de se sentir tout petit et humble devant l’immensité de la nature. (...) La course à pieds aiguise la sensation d’être en vie et sublime les émotions." Anton Krupicka

Le mois de septembre est toujours particulier. Avec deux petits garçons à la maison et une bonne course sur les crêtes vosgiennes dans les jambes, il l’est encore un peu plus. Si je n’ai pas couru très vite ce mois-ci, ni très longtemps, je suis tout de même allé me ressourcer dans la forêt quasi tous les jours. 

2/10 : aujourd’hui, belle rando-course de 11,5kms avec Loucky. Après avoir rejoint l’écluse 24, nous longeons le canal sur quelques centaines de mètres avant de remonter la petite vallée du Stutzbach dans laquelle Loucky va un peu se baigner. Je m’arrête pour l’observer : son bonheur irradie autour de lui. 

4/10 : 13,5kms à Sarrebourg avec papa à vélo, dont 4 tours de l’étang sur lequel de grands cygnes blancs se laisser flotter. 

5/10 : Je pars avec Loucky et sac au dos pour une petite course sous la pluie. La forêt commence à revêtir son habit multicolore, à dominante jaune. Ce sont les hêtres qui donnent le ton, alors que les châtaigniers déposent leurs premiers fruits sur le sol. De lourds nuages enveloppent la montagne. Je marche pendant 500 mètres le temps de ramasser huit cèpes de belle taille. Au bout de trente minutes, je laisse Loucky dessabler son pelage dans l’herbe mouillée du jardin et je repars à allure soutenue pour quelques kilomètres supplémentaires au terme desquels j’enjambe une belle couleuvre. Sortie de 11kms. 

Loucky… Il a débarqué dans notre vie comme ça, l’air de rien. 

Depuis tout petit, les chats sont des animaux qui me fascinent. Mais ce n’est que vers 12 ou 13 ans, peut-être grâce à la lecture du merveilleux livre de Konrad Lorenz « tous les chiens, tous les chats » que je pars me balader de temps en temps avec ma chienne Mousky, une berger belge toute noire, et déjà alors bien âgée.
Bien des années plus tard, au cours de mes longues courses en solitaire, je me mets à rêver d’être à nouveau l’ami d’un chien. C’est avec l’image d’un husky endurant, au regard bleu, que Fanny et moi franchissons les portes de la S.P.A par une chaude journée d’août.
Derrière les barreaux de sa cage, Loucky semblait déjà nous attendre. Issu d’une portée sauvage, d’une maman Labrador, Loucky a débarqué avec son frère. Ce dernier, tout roux, fut bien vite adopté. Notre Loucky, au long pelage noir et beige, nous attend. Sa naissance remonte à trois ans et demi lorsque notre regard croise enfin ses yeux gentils. 

Très vite, il devient mon compagnon de course. S’il se fait discrètement oublier à la maison, son enthousiasme l’emporte dès qu’il me voit chausser mes runnings. Il guette les indices, a repéré que j’effectue souvent des séries de pompes et d’abdominaux avant de partir courir. Alors, il se met à japper et à déraper de joie sur le carrelage. Il ira m’attendre dehors.
Il me tire littéralement vers l’avant tant qu’il est en laisse. La forêt est synonyme de liberté. Une fois lâché, il fonce pendant que moi j’accélère prudemment sur les premiers kilomètres. Sa technique pour tout de même me croiser de temps et temps est d’alterner les pointes de vitesse et les séances de reniflage intensif.
Pendant plus de huit ans, Loucky et moi courons ainsi quatre ou cinq fois par semaine, pour des sorties généralement comprises entre 10 et 20 kilomètres.
C’est lui le plus fort. Bien souvent, il m’attend à la première croisée des chemins. 
« D’accord, tu fais l’itinéraire, mais ne traîne pas trop ! », semble-t-il me dire. 

Le partage de notre effort et de notre bonheur à arpenter notre jolie montagne doucement vallonnée s’étire parfois jusqu’à de belles courses de légende. Là, nous partons pour de longues heures, pour 30kms ou plus. Je me souviendrai toujours de cette course jusqu’aux ruines du village gallo-romain de l’Altdorf : belle mais difficile. Les pieds trempés et frigorifiés par une lente avancée dans une épaisse couche de neige, mon Loucky disparaît après quasiment 40kms parcourus ! La maison est encore à une bonne heure de là. Je crie, je siffle, rien. Je le retrouve bien plus tard occupé à se baigner dans l’eau gelée d’un ruisseau. Je lui en ai voulu de m’avoir fait ce coup-là !
Une autre fois, en plein été cette fois-ci, nous longeons le canal. Loucky a trop chaud et il y plonge afin d’aller faire la causette aux canards. C’est bien beau de nager un peu mais au moment de sortir de l’eau, pas moyen pour lui de rejoindre la berge aux parois bien trop verticales. Je m’allonge alors à plat ventre, et d’un bras parviens à le hisser sur le chemin. Un peu lourd pour mes muscles sollicités mais néanmoins existants, quelque chose claque dans mon dos et se bloque. La maison est à 6kms. 
Ses jours les plus heureux furent, je crois, ceux passés lors de vacances dans les Alpes. Des journées entières pour lui à suivre la piste de marmottes bien trop rusées, à franchir des cols enneigés, à plonger dans les torrents. 

Et puis, un jour, c’était il y a deux ans, Loucky se blesse en voulant effectuer un bond un peu acrobatique. Rupture des ligaments croisés. Deux opérations plus tard, le voilà à nouveau sur les sentiers. Mais la convalescence est longue et, avec l’âge, sa foulée se fait un peu moins rapide à chaque été.
Pourtant, pourtant, son enthousiasme reste le même ! Aujourd’hui, c’est en voyant une poussette ou un porte-bébé qu’il se met à déraper sur le carrelage…
Bien des fois, il m’a lancé un regard triste et accusateur en me voyant m’éloigner et partir courir sans lui. C’est que je dois maintenir mon allure si je veux rester performant à la course. Désolé, Loucky ! 

Et puis, non ! Je fais erreur ! Le plus important, c’est le temps passé à parcourir la forêt, pas la vitesse ! Et s’il est possible de partager mon plaisir avec mon fidèle ami, c’est encore mieux ! 

Alors, nous y voilà, mon cher Loucky. Très souvent, nous partons tous les deux. Dévalant d’un côté les pentes à toute vitesse, les remontant de l’autre bien plus lentement. Aujourd’hui, c’est toi qui décide du rythme. Je te dois bien ça. Et quand, après 5, 10 ou 12kms parcourus, je te laisse dans le jardin et que je repars seul pour une boucle supplémentaire un peu plus rapide, je sens bien que tu es heureux.
Alors que j’écris ces lignes, tu sommeilles à mes pieds, ta place favorite. Te doutes-tu déjà que demain, toi et moi, nous repartons à l’aventure ? 

6/10 : 18kms dont 8,5kms avec Loucky, en passant par le rocher du Petit Moulin. Au cours du dernier kilomètre, je trébuche et m’étale dans un beau bouquet d’orties. L’air est frais, le soleil discret. Pas de doute, l’automne est là.

6 Comments:

At 4:11 AM, Blogger Remiskyrunner said...

Super article sur ton chien fidèle ! C'est toujours si intéressant de te lire !
Comme toi, j'ai commencé à lire les articles d'Anton (traduits)

 
At 10:33 AM, Blogger Julien said...

This comment has been removed by the author.

 
At 10:35 AM, Blogger Fanny said...

Ahhhh... Notre Loucky... Très beau texte sur ce chien exceptionnel, qui embelli notre vie depuis longtemps et... Pour un moment encore j'espère! Je l'adore!

 
At 11:45 AM, Blogger Saturnas said...

Quelle joie de suivre la vie heureuse de Loucky, chien qui ne pouvait pas mieux tomber que chez vous. Vu ma vitesse de tortue, il pourrait courir avec moi à présent !
En tout cas, ça m'a encore plus donné envie de trouver un Loucky à moi. Merci pour ce beau texte.

 
At 11:41 AM, Blogger Cécile said...

This comment has been removed by the author.

 
At 11:43 AM, Blogger Cécile said...



Quel talent! C'est si touchant. Une pensée pour Nanou, compagnon de jeux inégalé. Merci pour ces beaux récits.

 

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