Carnet d'un naturaliste-sportif

Friday, April 18, 2014

Le coureur des bois

Courir, "c'est un moyen de voyager et une exploration de soi. C'est une forme de méditation. (...) C'est du temps qui m'appartient." 
Anna Frost


Petit Noé a mis le réveil très tôt ce matin: 4h25. Une fois le biberon englouti, le ventre bien arrondi, il s'est rendormi.
Deux grandes tasses de café, quelques tartines et, déjà, l'excitation du départ. Rémi et moi partageons ce moment qui, quelque part, fait déjà un peu partie de la course.
Fanny et Arthur nous rejoignent. Arthur le lève-tôt tenait absolument à voir encore son cher parrain et il dépose un peu de gelée groseilles-framboises sur notre nez afin de nous donner du courage. Tel le schtroumpf chétif dans le schtroumpf olympique, je peux désormais témoigner que ce procédé un rien magique fonctionne bel et bien: plusieurs fois au cours de l'épreuve, je poserai un doigt sur mon nez pointu afin de ressentir la surface un peu collante de la confiture matinale. L'image d'Arthur m'apparaît alors et, pris d'un nouvel élan, je trouverai la force et le courage tout au fond de moi pour avancer encore.

Une heure de route sinueuse mais charmante plus tard, et nous voilà Rémi et moi sur la ligne de départ du Grand défi des Vosges!
Nous nous promettons que, bien entendu, la prudence s'impose dans les premiers kilomètres. Et bien entendu, nous bouclons le premier kilomètre un peu vite. mais la sagesse revient heureusement s'imposer sous la semelle de nos chaussures rouges.

Le premier semi-marathon se déroule sans problème, alternant dès ses débuts montées douces, montées raides et descentes souvent un peu techniques. Je marche trente secondes au 8ème kilomètre le temps de boire quelques gorgées d'eau tirées de mon sac à dos, et c'est reparti.
Le grès rose, les sapins et les hêtres, les sommets émoussés par les millénaires, quelques ruisseaux, quelques ruines de châteaux: la montagne possède la même beauté envoûtante que celle que je parcours tous les jours.
23ème kilomètre, premier ravitaillement. Bretzels, coca, gruyère, barre chocolatée. Et en prime, des bénévoles vraiment aux petits soins pour les coureurs des bois.




Mais l'énergie ne revient pas tout de suite. Je me connais. Je sais que j'ai un cap à passer entre le 27ème et le 35ème environ. Alors, je planifie quelques moments de répits pour mon corps: un gel périmé au citron bio au 28ème (un peu solide mais bon quand même) et beaucoup d'eau car le Soleil n'hésite pas à s'infiltrer entre les arbres aujourd'hui. Un petit casse-croûte à l'ossau-iraty au 30ème, et beaucoup d'eau aussi. Idem au 35ème parce que j'ai 35 ans. Le tout en montée et en marchant.



Bien reposé par cette alternance de rythme, il ne me reste plus qu'à filer jusqu'au ravitaillement du 40ème kilomètre en constatant que je cours de plus en plus vite!
Pourtant, un rien plus tard, mes muscles durcissent. Un gros chien noir hurle comme un loup en écho aux cloches d'une église qui sonne midi. Mon esprit vagabonde de plus en plus. Désormais, je ne prête plus trop attention à mon corps. Je lui fais confiance, il sait de quoi il est capable. Je m'occupe davantage de mon esprit.
Le chant des oiseaux berce souvent le cours de mes pensées. Le fond d'une vallée, alors que je suis tout là-haut, m'appelle parfois en me promettant un peu de fraîcheur. Le vent dans les feuilles encore vert tendre des hêtres me souffle des mots qui m'inspirent: forêt... course... arbre... kilomètre... Je songe à mon Amour et à nos deux Anges, et à Rémi. J'espère qu'il n'est pas trop loin et qu'il s'amuse!



56ème kilomètre. Un coureur dévale la pente avec ses chaussures de course, ses chaussettes de contention et une soutane, capuche sur la tête. En le dépassant, je le salue et il me répond d'une voix douce "bonjour, mon fils." J'apprendrai à l'arrivée qu'il est moine trappiste et que nous partageons le même rêve à l'arrivée: une bonne bière.

Je me surprends à chanter, je vais bien! J'accélère encore un peu. Papa et Maman, les meilleurs supporters au monde, à la fidélité que rien n'arrête, sont là, bien sûr.
6h04 de course. Je suis 20ème, un peu surpris car je n'avais pas l'impression de courir bien vite.
58kms pour voyager, en courant dans les bois. Dans la joie de l'effort, à goûter, toucher, sentir et écouter le bonheur de vivre. Pour me retrouver, et enfin retrouver ceux que j'aime et leur raconter mon voyage.