Carnet d'un naturaliste-sportif

Tuesday, August 05, 2014

Du Mont-Blanc au Donon

"Courir est une des choses les plus spirituelles du monde. C'est lié à tellement d'autres choses comme l'esprit humain, les buts, la signification de la vie, l'estime de soi, faire du monde un endroit meilleur. J'ai eu quelques-unes de mes meilleures pensées en courant. Juste être seul dans les montagnes, être capable d'écouter le silence et méditer."
                                                                               Pablo Vigil



Le Marathon du Mont-Blanc... Un an que Rémi et moi nous en rêvions! Courir dans les Alpes, grimper de hauts sommets, contempler les neiges éternelles. A peine arrivés, nous sommes plongés dans l'ambiance de ces championnats du monde avec l'arrivée du 80kms. Des coureurs qui semblent épuisés et ravis: un état de grâce que je recherche si souvent et que j'aime tant! La veille de la course, visite de Chamonix. Véritable coup de coeur pour cette charmante petite ville entourée de hautes montagnes et qui vibre pendant ces trois jours au rythme de la passion de la course à pied. La montée en télé-cabine à l'Aiguille du Midi, à 3777m d'altitude, je ne suis pas près de l'oublier. Sensations fortes et panorama glacé, splendide et vertigineux. L'après-midi, l'occasion se présente d'offrir "le lynx blanc" à Kilian Jornet, sportif hallucinant et pourtant si simple, si humble. Il offre un bel exemple.

Dimanche matin, 7h: 2300 coureurs serrés les uns contre les autres attendent le départ de la course devant la chapelle de Chamonix. Premier kilomètre sous une pluie battante à zigzaguer pour sortir du troupeau et prendre mon rythme. Aucun doute: je suis joyeux! Je cours ensuite à 13-14km/h pendant près de 15kms sur des sentiers vallonnés, peut-être mon point fort. Puis, la terrible montée jusqu'au col à près de 2000m d'altitude. Je marche, je cours. L'énergie est au rendez-vous mais je parviens à ce point culminant totalement frigorifié et trempé. Il pleut toujours et la température affiche 2°C. Sur un tee-shirt tout mouillé et collé à la peau, ça ne fait quand même pas chaud. Je m'introduis pour quelques minutes dans la tente des guides-secouristes. Là, on m'aide très gentiment à enfiler ma veste coupe-vent (mes doigts sont tout engourdis) et à ouvrir mon paquet de fourrés au chocolat. Avec mes gants polaires, et après avoir bu un gobelet de thé brûlant, je suis prêt pour dévaler la pente le plus vite possible!

Au 26ème, deuxième grosse montée qui nous mènera à La Flégère, en deux temps. Les descentes sont très techniques. Il faut parfois presque s'accroupir et s'aider des deux mains pour franchir les passages les plus compliqués. J'adore ça! Au ravitaillement du trentième, je me choisis un gobelet de thé accompagné d'une tranche de pain et d'une grosse part de tomme: je les savoure comme jamais.
Les muscles des jambes un peu durs, je raccourcis ma foulée dans la dernière longue descente. Mais l'arrivée dans Chamonix est tellement motivante, le public accueillant chaque coureur comme un héros, que j'accélère et oublie mes douleurs pour foncer jusqu'à la ligne d'arrivée. Quel moment fabuleux, à taper dans les mains tendues des enfants, sous les acclamations de tous, et je franchis la ligne d'arrivée en 5h11 (361ème), suivi à quelques minutes tout juste par Rémi!

"Et si on tentait le 80kms l'année prochaine?" nous sommes-nous demandés après la course. Et pendant que Noé découvre la marche, tout ravi et infatigable, qu'Arthur court dans les vagues à la mer, l'idée fait son chemin... Séduisante c'est sûr, mais en serais-je capable? Pour le savoir, il faut essayer!



Le premier août, visite du zoo d'Amnéville. Un jour de repos, ou presque. Demain, c'est la Saint Julien, je sais quel cadeau m'offrir. Mais en attendant, si je note la petite taille des cages des rapaces, les cent pas du puma ou le regard de reproche du gorille, je suis malgré tout séduit par la joie des otaries (quel sens comique!), le bonheur et les jeux des louveteaux polaires et de leurs parents, les acrobaties des orang-outans. Les conditions de vie d'un animal dans un zoo ne sont pas idéales mais tellement préférables à celles de ceux qui vont à l'abattoir. Je repense alors aux mots de ces deux visionnaires:

"Il viendra un jour où l'on considérera le meurtre d'un animal comme l'on considère aujourd'hui le meurtre d'un humain". Léonard de Vinci

"Il n'y a pas de meilleur espoir pour la santé humaine et pour les chances de survie de l'espèce humaine sur la Terre que l'évolution vers le végétarisme". Albert Einstein




Le 2 août, donc, tentative de courir plus de 80kms dans les bois. Objectif: courir l'aller-retour depuis chez moi jusqu'au Donon.
En m'élançant au petit matin, je me demande quand même si je ne tente pas l'impossible! Courir tranquillement dès les premières foulées, voilà ma seule et unique stratégie. Jusqu'au 10ème km, je manque un peu d'entrain, je ne suis pas vraiment installé dans mon effort. J'ai un peu peur d'échouer, je crois. Une petite pluie fine accompagne mes pas, mais comme le temps est très lourd je m'arrête pour ôter mon coupe-vent. Là, en consultant mon portable, je découvre plusieurs messages d'encouragement. Le "salut" joyeux de Noé, le "on t'aime" d'Arthur et la douce voix de Fanny sur la messagerie me donnent tout à coup des ailes.
C'est parti!

"Run free, man!", comme le disait si bien le Caballo Blanco. J'essaie et puis c'est tout. Si c'est trop dur, tant pis. Ce qui compte, c'est vivre pendant toute une journée ce qui me passionne tant!

Petite pause face au Rocher du Dabo pour dévorer plein de mûres délicieuses. Je passe sans m'arrêter devant de beaux cèpes de toutes tailles. Parfois, quelques oiseaux saluent bruyamment notre rencontre. Ce qui est embêtant, c'est que plus les kilomètres défilent, plus mon souffle gagne en volume sonore, moins j'entends les autres bruits de la forêt qui me séduisent tellement.
Kilomètre 32, le col du Narion, 927m. Le Soleil se montre franchement désormais. Je poursuis ma progression torse nu après avoir englouti un fourré au chocolat (encore lui!). Je passe le sommet sans m'arrêter, impatient d'arriver au col, la mi-course. Je savoure cependant la dernière montée, bien technique.
Peu après, satisfait d'avoir parcouru ces 42 premiers kilomètres en 5h14, je m'assois en terrasse... "Une bière, s'il vous plaît!"... "Euh, vous avez aussi des bretzels?" Le tout est avalé lentement en compagnie d'un petit teckel qui passait par là et qui aime bien mes caresses.

Remontée au sommet en marchant. Il me faut encaisser les effets de la boisson. Une fois là-haut, si ma tête tourne encore un peu ça doit surtout être parce que la vue y est carrément sublime. Je m'assois pour dévorer mes trois petits casse-croûtes.
A partir de là, j'adopte la même technique que Loucky: de petits pipis courts mais fréquents. Ca doit être la bière. Mais Loucky n'en boit pas, lui.
Etonné de courir presque 10 kilomètres sans interruption, je ne me mets à marcher que pour la dernière montée au Narion. Comme souvent, je m'égare un peu. C'est l'occasion de découvrir une jolie chaume que j'avais manquée à l'aller.
C'est après le Hengst (870m) que les difficultés commencent, vers le 60ème kilomètre. Une longue descente sur chemin caillouteux affecte mes genoux. Un endroit où je n'ai jamais mal, d'habitude. La foulée se raccourcit de plus en plus. Le temps se couvre. L'orage gronde. Le soir s'installe.
Je retrouve plus de souplesse sur les petits chemins sableux. A nouveau une belle poignée de mûres, complétée par deux fourrés, et me voilà au Kempel: à 10 kilomètres de l'arrivée! Ces derniers kilomètres sont les plus difficiles. Il me faudra 1h23 pour les parcourir! Je fais vraiment de tout petits pas, sous une pluie battante. Arthur dira: "et papa? Il va être tout mouillé!" Et il a bien raison.
Dans la descente de Hultehouse à Lutzelbourg, je ramasse un bâton, puis deux, pour amortir un peu la lourde foulée qui impacte mes genoux.



Heureux, vraiment heureux, d'arriver, je boucle la distance de 84kms en 12h02. Je m'en vais encore faire un petit bisou à Arthur, mais chut, Noé dort déjà (et Loucky aussi). Arthur s'étonne de me voir revenir sans médaille cette fois-ci.
- Oui, mais là j'ai couru tout seul.
- Ah bon, pourquoi t'as fait ça?
- Ben... Parce que j'aime ça!
- Moi aussi je veux aller dans la montagne!
- OK, si tu veux, c'est super! Tu es prêt à marcher longtemps?
- Non, je préfère être à la maison.

Après la douche, Fanny me chouchoute avec un délicieux repas et un long massage. Elle est pas belle, la vie?
Conclusion: c'est possible de courir autant!
A ne pas faire trop souvent malgré tout (du moins, pour moi), mais c'est possible! Et pourquoi pas autour du Mont-Blanc avec Rémi? "A deux, c'est beaucoup mieux, on voit beaucoup plus loin..." comme l'indique justement une comptine d'Arthur et Noé que j'entends (très) régulièrement.

La balance indique 66kg, soit 3 de moins que la veille (demain, on ira chercher des croissants pour le petit déjeuner). Mais je n'ai eu aucun problème d'énergie. En s'alimentant avec justesse, notamment des céréales complètes, et en ayant descendu 4,5 litres d'eau (et une bière:). Seule vraie difficulté: les genoux.
Après cette longue course, j'ai envie maintenant d'arpenter à nouveau la forêt tout près, dans tous les sens, et pour des courses parfois plus rapides aussi, de 10 ou 20 kilomètres. Et puis aussi de prendre le thé sous le porche en écoutant la pluie tomber. L'odeur envoûtante de la forêt vient toutefois bien souvent me chercher jusque là.

Ecrire clôt cette aventure. Je suis prêt pour la suivante. Je vois la course un peu comme une danse. Une belle harmonie dans les mouvements s'en dégage. C'est aussi un acte de communion avec la Nature. Je vois la course comme une oeuvre d'art. Le plus souvent, je suis inspiré et il se dégage alors de mon effort un procédé créatif. Je deviens alors un artiste qui réalise son oeuvre! (cette phrase-là, je l'aime bien.)

Réaliser à chaque instant que la vie est merveilleuse, n'est-ce pas là justement le but de la vie?

Quand Arthur dépose un baiser sur mes joues, quand il me prend la main, quand je le vois rire et que je l'écoute m'expliquer des choses, quand on se serre fort et qu'on se regarde les yeux dans les yeux... Quand Noé enfouit son visage dans mon cou, quand il m'adresse son grand sourire, quand il est tout affairé et que ses gestes lui inspirent un mot, quand on se serre fort et qu'on se regarde les yeux dans les yeux... Quand Fanny, leur merveilleuse maman qui sait si bien nous offrir son Amour, est là, tout près de moi, quand on se serre fort et qu'on se regarde les yeux dans les yeux... alors je suis si heureux que mon corps tout entier est parcouru de frissons, et une envie de remercier l'Univers s'empare de moi. Lui exprimer ma gratitude pour m'avoir permis de vivre tout ça et d'accompagner ces deux petits Anges sur le chemin de leur Vie. Cette pensée m'accompagnera sûrement lors de ma prochaine course.